De mon point de vue, la promotion de la santé mentale à l’heure actuelle, tend à uniformiser les réponses aux besoins en proposant une globalisation de l’offre. D’une manière très schématique, elle procèderait à prendre soin de tous sur un même modèle et pour ainsi dire, « on s’occuperait de tout le monde et on ferait en sorte qu’il en soit de même pour la folie² ».
C'est comme s’il y avait eu un glissement du champ du soin (la psychiatrie) au champ social, avec au passage, la disparition de ce que l’on nomme la psychogenèse (étude de l'origine et de l'évolution des phénomènes psychiques). Désormais, le fou serait relégué au seul champ du handicap!
Pour éclairer mon propos, on n’accompagne pas une personne en situation de fragilité psychique comme on accompagne par exemple, une personne manifestant des troubles psychotiques: la psychose à cela de particulier qu’elle résiste! C’est, pourrait-on dire, un trouble majeur de l'identité ou si vous préférez, une maladie du lien. Et qui dit dysfonctionnement ou rupture de ce lien, nécessite un accompagnement singulier, au cas par cas. Celui-ci ne peut être ni protocolaire, ni consensuel. Il doit dans l’idéal, resté libre, vivant, adapté à la situation dans la rencontre à l’autre... Si ces conditions sont remplies, on peut espérer établir un lien qui soit particulier, voire thérapeutique. Et c’est peut-être là, un des écueils de notre société qui tend à une uniformisation des réponses en confondant notamment le champ social de celui du soin...
La finalité quant à la question de savoir comment répondre à ces même besoins, c’est peut-être de faire évoluer notre propre vision dans le respect de tous, surtout des personnes vulnérables, parce-que le regard peut modifier la folie elle-même ou tout autre idée d’une différence. Mais peut-être aussi que la différence fait peur quant on évoque la folie?
A cet égard, je voudrais citer Patrick Coupechoux, journaliste, qui dans la présentation de son ouvrage intitulé "La santé mentale ne soigne pas les psychotiques" posait comme question de fond lors d’une interview: « Est-ce que le fou est un humain? Et bien, cela n’est pas évident du tout ! ». Il expliquait son propos en citant Lucien Bonnafé, psychiatre désaliéniste, qui parlait en son temps « de pensées magiques » qui nous animent, qui fait que l’on pose un regard sur le fou comme quelqu’un qui aurait une essence différente de la nôtre et qui serait donc potentiellement dangereux par nature!
Et la conséquence de tout cela rajoutait-il, « c’est que l’on met une barrière entre lui et nous. Ce qui est pratique en un sens, parce-que cela nous évite de nous poser des questions sur notre responsabilité du monde dans sa folie! ». Sur notre folie...
Enfin, et puisqu’il était question de l’impact de la crise sur la santé mentale, j’aimerai explorer la définition du mot « crise » dans sa traduction en langue chinoise. Le mot crise en chinois est composé de deux idéogrammes signifiants « danger » et « opportunité » (WEI JI). Alors que le premier caractère exprime un « danger », il signifierait davantage un « moment décisif », cela, sans jugement positif ou négatif. Pour le 2ème mot, « opportunité », il se traduirait aussi par le « moment à saisir ».
La crise posséderait ainsi deux éléments indissociables: le moment décisif et le moment à saisir comme moyens pour faire face et traverser les tempêtes qui se présentent. Ce serait un probablement un atout majeur de pouvoir considérer une crise, autrement que comme une fatalité, à travers laquelle nous n’aurions d’autres issues que de subir...
Je crois profondément que si nous n'avons pas toujours le choix de nos expériences, à priori, nous avons toujours le choix sur la façon de les questionner et de les vivre.
Et si la crise était une opportunité pour changer de paradigme? @cabanes_e
¹ Table ronde du samedi 8 octobre 2022, organisée par l'association EVEN
² Citation de Patrick Coupechoux